Encombrantes Milices Chiites au Moyen-Orient
Hezbollah, Houthis, Kata'ib Hezbollah… ont-elles un avenir loin de l'Iran ? Le trafic de drogue peut-être ?
Ni le Hezbollah au Liban, ni le Hamas à Gaza, ni les Houthis au Yémen, ni les Kata’ib Hezbollah en Irak… n’ont bougé le petit doigt.
Entre le 12 et le 24 juin, quand 200 avions israéliens ont, par vagues successives, ciblé la défense antiaérienne, les lanceurs de missiles et les usines de construction de missiles iraniens ; quand ces mêmes avions ont bombardé les usines d’enrichissement d’uranium de Natanz, Fordo et Ispahan, ainsi que l’usine d’eau lourde d’Arak ; quand la chasse israélienne a exécuté à leur domicile les hauts gradés de l’armée iranienne – dont le chef du corps des Gardiens de la Révolution et le chef d’état-major des forces armées – ainsi que neuf experts scientifiques nucléaires… ni le Hezbollah, ni le Kataib Hezbollah, que l’Iran finance depuis des décennies, n'ont volé au secours de la maison mère.
L’Iran s’est retrouvé seul, sans l’aide d’aucun de ses supplétifs.
· Pourquoi ces milices armées et financées pour défendre l’Iran et son programme nucléaire n’ont-elles pas agi ?
· Avaient-elles d’autres intérêts à préserver ?
INVENTAIRE
● Le Hamas à Gaza
Après deux ans de guerre contre Israël, la capacité de nuisance du Hamas a été plus qu’amoindrie. Sans les otages qu’Israël ne désespère pas de sauver, le Hamas aurait été éradiqué depuis longtemps.
● Le Hezbollah au Liban
Après avoir canonné Israël en quasi-impunité pendant la fin de l’année 2023 et une bonne partie de 2024, après avoir ruiné des dizaines d’immeubles et de maisons dans les villes et villages du nord d’Israël, après avoir poussé à l’exil plus de 60 000 citoyens israéliens… le Hezbollah a subi une foudroyante riposte d’Israël.
Les 17 et 18 septembre 2024, des milliers de beepers et talkies-walkies dormants ont explosé, tuant et mutilant des milliers d’officiers du Hezbollah. Dix jours plus tard, le 27 septembre 2024, Hassan Nasrallah, chef charismatique du Hezbollah, a été écrasé sous les bombes à Beyrouth. L’armée israélienne a ensuite détruit les dépôts d’armes et les miliciens.
La chaîne saoudienne Al-Hadath, citant des sources anonymes, rapporte qu’environ 4 000 combattants et hauts gradés du Hezbollah ont été tués par Israël, et que 2 000 miliciens ont déserté après l'assassinat de leur chef. Aram Nerguizian, chercheur au Centre d’études stratégiques et internationales, estime que « plus de 90 % des armes sophistiquées et lourdes du Hezbollah — missiles et drones par dizaines de milliers — auraient été détruites par Israël ».
Israël a aussi tué les banquiers, détruit les coffres-forts et les succursales de la banque Al-Qard al-Hassan, qui finançait l’effort de guerre et la politique sociale du Hezbollah.
Résultat : les aides aux familles de miliciens blessés ou tués sont devenues épisodiques ; les salaires des miliciens ont parfois du mal à être versés ; et les pots-de-vin aux fonctionnaires libanais ne sont plus aussi généreux qu’auparavant.
La reprise en main par l’État libanais de l’aéroport et du port de Beyrouth a rendu plus complexes les transferts d’armes et d’argent en provenance d’Iran ou issus du trafic de drogue. Si l’on en croit le magazine économique israélien Globes, l’argent n’arrive plus qu’à travers le réseau de prêteurs Hawala (un système informel de crédit où le remboursement est garanti par la confiance).
La faiblesse du Hezbollah explique peut-être qu’il n’ait pas bougé pour venir en aide à l’Iran. Mais un prêté pour un rendu n’est pas à exclure : l’Iran non plus n’a pas bougé quand Israël a décapité le Hezbollah et détruit ses stocks d’armes lourdes.
● Les milices chiites en Irak
Kataib Hezbollah, Asa’ib Ahl al-Haq (AAH) et Harakat Hezbollah al-Nujaba (HHN) sont les trois plus importantes milices pro-iraniennes en Irak. Elles regroupent ensemble entre 30 000 et 50 000 combattants, tous puissamment cuirassés (armes lourdes et légères) par le Corps des Gardiens de la Révolution islamique.
En Irak, ces milices sont regroupées sous une structure commune au sein de l’armée : les Forces de mobilisation populaire (FMP), qui comptent de 130 000 à 145 000 combattants, répartis en 67 factions, dont certaines sont rivales.
Les FMP forment un État dans l’État, dont la loyauté envers Bagdad varie selon les situations. Les chiites représentent 85 % des membres et 100 % du contrôle de cette structure.
Pourquoi les FMP ne sont-elles pas intervenues en faveur de l’Iran ? Pourquoi n’ont-elles pas soutenu Bachar al-Assad, homme-lige de l’Iran en Syrie ?
Sans doute n’ont-elles pas souhaité mettre en péril les affaires et trafics (changes, drogue, pétrole…) qui remplissent leur bas de laine et permettent à l’Iran de contourner les sanctions américaines. Leur inaction a représenté un désastre stratégique pour l’Iran.
● Les Houthis au Yémen
« Malgré sa rhétorique et ses slogans “Mort à l'Amérique”, la milice yéménite n'a jamais été entièrement à la solde de l'Iran », écrit le Wall Street Journal. Les experts de l’International Crisis Group considèrent que les Houthis ne sont pas dans une relation de proxy totalement subordonnée à l’Iran.
Elisabeth Kendall, spécialiste du Moyen-Orient au Girton College de Cambridge, explique que les Houthis ont été « surpris par l'ampleur de l'infiltration israélienne en Iran » et que « l’importance qu’ils accordent à leur sécurité les rend prudents ».
Par ailleurs, leur arsenal de missiles et de drones a été considérablement affaibli par des semaines de frappes aériennes américaines en mars et avril 2025.
Les milices prospèrent au sein des États faillis
Les pays dans lesquels l’Iran a développé une milice étaient déjà, ou sont devenus, des États faillis, où corruption et clientélisme règnent en maître.
Aujourd’hui, les États-Unis incitent vigoureusement les gouvernements libanais, syrien et irakien à désarmer les milices, à redonner à l'État le monopole de la violence légitime et à isoler l’Iran.
En décembre 2024, Antony Blinken, alors secrétaire d’État de Joe Biden, a effectué un déplacement en Irak pour demander au Premier ministre Mohamed Shia al-Sudani de dissoudre trois milices chiites pro-iraniennes.
Fin 2024, Donald Trump – bien qu’encore hors fonctions – a exhorté ce même Premier ministre à lutter contre la dissémination des armes en Irak.
Le 25 février 2025, Marco Rubio, actuel secrétaire d'État américain, a exigé que l’Irak se débarrasse de toute ingérence iranienne.
Au Liban, les États-Unis ont également fait pression sur le gouvernement de Joseph Aoun pour que le Hezbollah ait un accès limité au système bancaire libanais.
Ces milices sont aujourd’hui prises en étau entre :
un Iran très affaibli,
un Israël déterminé à empêcher toute reconstitution de milices meurtrières à ses frontières,
et un gouvernement américain qui pousse à la reprise du monopole étatique sur les armes,
...toutes, - surtout le Hezbollah -, sont vivement incitées à réfléchir à leur avenir.
Selon Reuters, le Hezbollah envisage de réduire son rôle en tant que mouvement armé, sans pour autant désarmer complètement, selon trois sources proches des délibérations.
Du djihad au trafic de drogue ?
Que vont devenir ces milices si un État fort reprend la main ? Leur reconversion semble déjà toute trouvée.
Ces milices chiites ne sont pas que des armées au service de l’Iran. Pour pallier la faiblesse du financement iranien, elles ont souvent développé une expertise dans le trafic de drogue, le trafic d’armes, la contrefaçon et le blanchiment d’argent.
Si le Hezbollah ou le Kataib Hezbollah rompent idéologiquement avec l’Iran, renonceront-ils pour autant à leurs revenus mafieux ?
Vraisemblablement non.
Le risque est grand que ces milices djihadistes se transforment en cartels de la drogue — ce qui est déjà en grande partie le cas du Hezbollah.
Mais il sera plus facile aux États de lutter contre des mafias qui inondent le Moyen-Orient de fentanyl et de captagon, deux drogues hyper-addictives, que contre des milices politico-religieuses qui prétendent vouloir « libérer la Palestine de la rivière à la mer ».