La « Liste Epstein » ou le Nouveau Complot Juif
Un scandale politico-sexuel qui discréditait les élites du Parti démocrate aux Etats Unis, se retourne contre Donald Trump… et contre Israël.
L’affaire Epstein — un scandale politico-sexuel qui a éclaté en juillet 2019 aux États-Unis — n’aurait dû gêner que le parti Démocrate. Il est devenu une bombe politique qui fragilise la coalition MAGA et se retourne contre Israël.
Jeffrey Epstein, un millionnaire américain juif (la chose a son importance), dirigeait un réseau de jeunes filles mineures qui avaient des relations tarifées avec des hommes occupant des positions importantes (notamment Bill Clinton au Parti démocrate). Ces jeunes prostituées auraient été filmées et les vidéos auraient servi à un chantage dont Epstein était le bénéficiaire.
Arrêté en 2019, Epstein a été retrouvé pendu dans sa cellule, et la croyance s’est aussitôt propagée qu’il avait été assassiné pour protéger les riches et puissants pédophiles de sa longue liste de clients.
Entre 2020 et 2024, Donald Trump a fait de cette « liste d’Epstein » un thème de campagne. Il allait “lever le voile”. Revenu au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump nomme Pam Bondi au ministère de la Justice. Et le 21 février 2025, Pam Bondi affirme qu’elle a la « liste » sur son bureau.
Qu’attend-elle pour la publier ? On ne sait pas.
Mais le 7 juillet 2025, la même Pam Bondi et le FBI affirment qu’aucune « client list » n’a été trouvée dans les dossiers, et aucune preuve n’existe qu’une telle liste aurait été établie pour faire chanter d’influentes personnalités. Pam Bondi a expliqué par la suite qu’elle avait appelé “liste” l'ensemble des dossiers liés à l’affaire Epstein.
L’affaire aurait pu en rester là.
L’affaire n’en reste pas là et s’emballe. O surprise, des tirs de barrage sont organisés à droite. Fox News, média conservateur, rappelle toutes les étapes de la campagne électorale où tantôt Pamela Bondi (aujourd’hui ministre de la Justice), tantôt Kash Patel (directeur du FBI), tantôt Donald Trump lui-même ont promis-juré de faire la lumière sur la fameuse « liste d’Epstein ». Des fidèles de Trump comme Marjorie Taylor Greene (républicaine, Géorgie) ou Marsha Blackburn (républicaine, Tennessee) exigent aujourd’hui la transparence. Les Démocrates et la presse de gauche (NYT) se font un plaisir de jeter de l’huile sur le feu en racontant les prises de bec entre le FBI et le ministère de la Justice.
Et le Mossad entre en scène
Le 11 juillet 2025, lors du sommet Turning Point USA[1] (Detroit), Tucker Carlson monte à la tribune. Tucker Carlson est un journaliste et commentateur politique américain conservateur. Journaliste vedette de Fox News de 2016 à 2023, il a lancé son propre média qui draine une audience considérable au sein de la droite américaine.
Tucker Carlson n’a pas de preuves, mais il laisse entendre qu’Epstein a monté un réseau de call-girls mineures pour réaliser des opérations de chantage sur le gouvernement américain. Carlson n’assène pas des faits, il susurre ses convictions. « Je ne suis pas antisémite » dit-il en substance. « Il m’est arrivé de critiquer la CIA qui a commis d’horribles forfaits, notamment contre un président en exercice (référence à l’assassinat de Kennedy), cela ne fait pas de moi un Américain déloyal ». Sous entendu : ce n’est pas parce que je dénonce le Mossad que je suis antisémite.
Comme tout citoyen américain, Carlson affirme faire usage de son droit à la liberté d’expression. « Je suis donc en droit de demander qu’un gouvernement étranger (Israël) ne soit pas autorisé à agir contre mon intérêt ». On doit pouvoir demander « Étiez-vous en train de collaborer avec le Mossad ? Meniez-vous une opération de chantage pour le compte d'un gouvernement étranger ? »
Mais Tucker Carlson fait seulement semblant de s’interroger. En réalité, il assène ce qui lui paraît être une preuve massive de ce qu’il avance : la rumeur. « Tout le monde à Washington pense ainsi. Je n'ai jamais rencontré personne qui ne pense pas ainsi. Je ne sais pas s'ils haïssent Israël. Mais personne ne se sent autorisé à parler à haute voix. Pourquoi ? »
Tucker Carlson lui, ne veut pas murmurer. Sous-entendu, je n’ai pas peur. « Je ne suis pas le méchant (“bad guy”). Pourquoi devrais-je avoir honte de parler ? »
Puis Carlson demande : « Quel est notre intérêt dans cette guerre ? »
Quelqu’un dans l’assistance aurait dû alors se lever et demander : « Attendez, quel est ce coq à l’âne ? De quelle guerre parlez-vous ? Je croyais qu'on parlait de Jeffrey Epstein ». Mais Carlson poursuit sur sa lancée. Il mime un dialogue imaginaire. Il mime le « good guy », à qui l’État demande de partir en guerre. « Nous devons partir en guerre ? » demande-t-il naïvement. Puis, le même Carlson change de rôle et devient subitement l’État autoritaire qui hurle « Ferme-la. Fanatique (“bigot”) ! ». Le good guy Carlson ose demander encore : « Mais en quoi cela nous concerne-t-il ? Pourquoi est-ce une bonne idée ? » et le Tucker autoritaire répond : « La ferme ! »
À ce stade de son discours, Carlson n’a toujours pas dit de quelle guerre il s’agissait. Mais cela vient. « Une bonne personne m'a dit hier : “L’Iran est le plus grand sponsor du terrorisme dans le monde !” Je ne sais pas ce que cela signifie en fait. Combien d'Américains ont été tués par le terrorisme chiite depuis les 56 ans que je suis né ? Je n'arrive pas à me souvenir d'un seul acte terroriste commis par l'Iran sur le territoire américain. Il y a eu le 11 septembre. Mais c'était un acte sunnite. »
Le good guy affirme que l’Iran n’est pas le méchant. Ni le Qatar non plus. Sous entendu, Trump n’avait pas à faire bombarder les installations nucléaires iraniennes.
Au terme de son allocution, le « good guy » Carlson a dénoncé un banquier juif, Bill Ackman et a insinué que le « bad guy » était un « Jeffrey Epstein » allié au « Mossad » qui ont fait chanter les États-Unis pour obtenir qu’ils bombardent l’Iran. Bien qu’Epstein soit mort depuis deux ans déjà, plusieurs bombardiers américains se sont envolés le 21 juin 2025 pour détruire quelques importantes installations nucléaires iraniennes.
De manière parodique, « The Scroll[2] », une lettre d’informations distribuée sur abonnement, a retraduit le discours de Tucker Carlson ainsi : un complot juif a été monté « pour cacher les crimes du financier juif Epstein, qui a violé des petites filles chrétiennes au nom de son gouvernement juif (Israël), lequel a subverti notre gouvernement (les États-Unis) par le chantage au viol d'enfants juifs, afin que ledit gouvernement juif puisse faire tuer des jeunes hommes chrétiens dans une autre guerre juive, pendant que des banquiers juifs comme Bill Ackman s'enrichissent grâce à des prêts prédateurs et que les médias juifs couvrent toute l'affaire avec des “sermons” sur les “puissances de l'Axe (de la résistance iranienne)”. »
Bill Ackman, lui aussi soutien de Donald Trump, a estimé sur X (ex-Twitter) que là, cette fois, Tucker Carlson passait les bornes, notamment sur l'Iran, Israël et le Moyen-Orient. On lira avec intérêt sa longue réponse sur X.
À peine dégoupillée à Detroit (Michigan), la « bombe Mossad » de Carlson Tucker a projeté des sous-munitions partout dans le monde. Epstein et le Mossad sont devenus un sujet pour Newsweek, Blaze Media, MSN, The Forward, The Yeshiva World, le Jerusalem Post, Times of Israel, Ouest-France, Le Monde, The Unz Review, Easton Spectator ,TFI Global, Pravda USA, The Daily Caller, One America News Network (OANN), et des dizaines d’autres médias de par le monde.
Un remake de Stavisky
Aujourd’hui, aux États-Unis, l’affaire Epstein est une arme que la droite MAGA utilise contre Donald Trump. Le président américain est lui-même devenu une figure de cet « État profond » qu’il n’a cessé de dénoncer tout au long de sa campagne électorale.
Sous l’impulsion de cette droite MAGA, l’affaire Epstein est devenue un équivalent de l’affaire Stavisky, qui, en 1933, a ébranlé la République française. Alexandre Stavisky, financier juif d'origine ukrainienne, avait organisé une escroquerie massive via les bons du Crédit municipal de Bayonne. Quand le scandale éclate, Stavisky a été retrouvé mort, officiellement par suicide. Deux mouvements d’extrême droite, Action française et Croix-de-Feu ont alors transformé cette affaire financière en "complot juif". Tout comme Stavisky, Epstein est devenu le symbole du "juif corrupteur" qui trompe et corrompt les élites américaines. On l’aura compris, le Mossad est devenu ici l’équivalent de ce qu’était le « juif » en 1933.
Comme le rappelle Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, les mécanismes de transformation d'affaires criminelles en théories antisémites ont une constance remarquable. « Depuis le début des années 1800, notamment en France (leader en la matière), les milieux révolutionnaires et contre-révolutionnaires ont développé des visions complotistes structurées autour de la dénonciation de la "puissance juive". Au cours des deux dernières décennies du XIXe siècle, les théories du complot désignaient régulièrement les Juifs comme agents d'un plan secret pour la prise du pouvoir et/ou l'exploitation des richesses[3] »..
« Le Mossad est devenu la figure nouvelle de l’ennemi juif », ajoute Pierre-André Taguieff.Lequel chercher à entrainer les États-Unis dans des guerres qui ne sont pas les siennes. Le Mossad est une « figure épidictique, ce qui signifie que l’ennemi mérite d’autant plus d’être combattu qu’on lui prête des pouvoirs quasi surnaturels. Dénoncer le Mossad, c’est à la fois une mise en garde et un éloge » explique Pierre-André Taguieff.
Il est des éloges dont Israël et les Juifs se passeraient volontiers.
[1] Turning Point USA (TPUSA) est une organisation politique américaine fondée en 2012 par Charlie Kirk. Elle joue un rôle central dans la mobilisation de la jeunesse conservatrice et pro-Trump aux États-Unis.
[2] [2] July 14: The Epstein Tantrum, Park MacDougald, une publication de Tablet Magazine
[3] Propos recueillis par l’auteur. On lira avec intérêt : Court Traité de complotologie, suivi de Le « Complot judéo-maçonnique » : fabrication d’un mythe apocalyptique moderne, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2013 [avril], 440 p.
[3] Propos recueillis par l’auteur.
bomberder