Le "Croissant Chiite" Iranien n'Etait qu'Un Tigre en Papier
En perdant la Syrie, l'Iran perd le cœur de son réseau militaire proche oriental. La "cause palestinienne" n'est plus le moteur de l'Histoire au Proche Orient.
En un peu plus d’un an, le “Croissant Chiite” - que les ayatollahs ont appelé l’Axe de la Résistance” - s’est délité. Ce réseau de terreur destiné à écraser Israel n’était qu’un tigre en papier. Le Hamas est aujourd’hui moribond et ne survit que par sa capacité à monnayer des otages. Le Hezbollah, pièce maitresse de cet Axe de la Résistance, est sérieusement éclopé. Ses missiles longue portée et ses bombes guidées ont été détruites. La milice libanaise mène aujourd’hui une guérilla comme elle la menait il y a trente ans. Et enfin, la Syrie de Bashar al Assad est tombée sous les coups de milices djihadistes sunnites. Les rebelles sunnites qui campaient aux marges du pays sont reparties à l’assaut. Elles ont profité de l’affaiblissement du Hezbollah au Liban et de la Russie occupée avec la guerre en Ukraine, pour reconquérir le pays. La Syrie, morceau de géographie essentiel à la constitution d’un empire perse au Moyen Orient, n’est plus contrôlé par l’Iran. L’emprise de la famille Assad sur la Syrie a vécu et l’Iran ne peut plus acheminer armes et argent au Hezbollah libanais. L’Axe de la Résistance est quasi démantelé..
Les ayatollahs affirmaient que la puissance militaire d’Israël était aussi forte qu’une toile d’araignée. Ils pensaient n’en faire qu’une bouchée. Mais ils étaient trop confiants. Leur Axe de la Résistance n’était qu’un tigre en papier.
Pour comprendre le délitement de ce “croissant chiite” "- c’est ainsi que le roi de Jordanie avait baptisé le réseau de milices que l’Iran construisait au Moyen Orient -, il faut remonter aux origines.
Le renversement du Shah et la prise du pouvoir politique en Iran en 1979, par l’ayatollah Khomeiny, un religieux chiite, a représenté un moment clé de l’histoire du Moyen Orient. Et même de l’histoire du monde. Les gouvernements occidentaux ont mis des décennies à comprendre l’importance de l’évènement pour eux-mêmes, pour les relations entre laïcs et religieux au Moyen Orient et pour les conflits de pouvoir entre chiites et sunnites, qui sont les deux grandes branches rivales au sein de l’islam.
Les Occidentaux n’ont pas compris non plus qui était l’ayatollah Khomeiny. Ils ont cru qu’il était le pape d’une religion d’amour et de paix en lutte contre un despote aristocratique à la tête d’un régime policier. Encore aujourd’hui, les démocraties occidentales peinent aujourd’hui encore à comprendre le concept même de « révolution islamique ».
Jusqu’à 1979, date de la révolution islamique en Iran, il n’était pas rare qu’un despote arabe dissimule sa volonté de pouvoir derrière une idéologie à la mode. Gamal Abdel Nasser évoquait volontiers le « socialisme arabe », Hafez al Assad en Syrie et Saddam Hussein en Iran ont utilisé les idéaux patriotiques et sociaux du parti Baas. Mais en réalité, tous ces leaders étaient de vulgaires despotes qui ont fait tourner l’appareil militaire et policier de leur pays à leur seul profit.
Les religieux iraniens sont d’une nature différente. Leur leader, l’ayatollah Khomeiny, était porteur d’un discours rédempteur. Rédempteur pour lui-même, car il se voulait le commandeur de tous les croyants. Et rédempteur pour tous les musulmans car il voulait unifier la oumma (la communauté des croyants) au-delà de ses différences entre arabes et perses, ou entre sunnites et chiites...
Khomeiny proposait une lecture du Coran qui répondait à l’angoisse qui tourmente le Moyen Orient depuis deux siècles : pourquoi, nous musulmans, ne sommes-nous pas le phare de toutes les nations qui peuplent la planète ?
L’historien américain Bernard Lewis a analysé très finement la crise de l’islam. “Dans le courant du XXème siècle”, explique Lewis, “il était devenu absurdement clair au Moyen Orient et dans toutes les terres peuplées de musulmans que les choses avaient empiré Comparé à son rival millénaire, l’empire chrétien, le monde de l’islam était pauvre, faible et ignorant… Sur tous les standards qui comptent dans le monde moderne - le développement économique et la création d’emploi, l’éducation, l’importance du développement scientifique, la liberté politique, la liberté d’expression, le droit des femmes à être d’authentiques citoyens - ce qui avait été autrefois une puissante civilisation musulmane était aujourd’hui en déclin ».
Mais à partir de 1979, date de la révolution iranienne, le monde musulman se cabre. La question du sous-développement est rejetée comme une problématique occidentale. Quand les Occidentaux disent aux musulmans, dévoilez vos femmes, laissez-les s’instruire et occuper un emploi, les musulmans répondent par un rejet et par la guerre. Nous ne voulons pas dévoiler nos femmes, nous ne voulons pas que des étrangers viennent piller nos richesses, nous ne voulons pas plier nos modes de vie aux standards occidentaux et surtout nous n’acceptons pas la définition de la modernité que l’Occident nous impose.
Ce rejet de l’Occident a été formulé avec le plus de violence en Iran, sans doute parce que le Shah Reza Pahlavi avait entrainé son pays dans une modernisation de type occidental. Une modernisation à marches forcées. Pour les ayatollahs, le développement économique, la science, l’innovation, l’égalité, la pauvreté… ne pouvaient et ne devaient recevoir qu’une réponse et une seule : l’islam. Seul le Coran fournit des réponses aux questions que se pose l’homme musulman. Qui sommes-nous ? Quel monde islamique voulons nous ?
L’année 1979 a été une année symbolique. Car c’est aussi l’année ou l’Egypte a signé un traité de paix avec Israël. En 1979, l’homme musulman, le musulman de la rue, au Moyen Orient, en Asie, en Afrique se voit proposer deux voies possibles : la paix, la modernisation et la coopération économique avec les juifs ou alors le djihad à l’iranienne.
On le sait aujourd’hui, l’homme musulman, le musulman de la rue a opté pour le djihad. La “cause palestinienne” est l’emblème du djihad. Les Accords de Camp David entre l’Egypte et Israel en 1977, le voyage d’Anouar al Sadate à Jérusalem la même année, puis la signature d’un traité de paix en 1979 n’ont pas été perçus par le monde arabe comme l’avènement d’une ère de paix et de prospérité. Ce voyage a été perçu comme une reddition. Les militaires égyptiens qui ont tendu la main à Israël, ont été perçus comme des traitres qui bradaient l’honneur musulman.
Anoual Al Sadate le paiera de sa vie. Il a été assassiné le 6 octobre 1981 par des officiers qui appartenaient au Jihad islamique, une sous officine des Frères Musulmans.
La cause palestinienne était évanescente à l’époque du traité de paix israélo-égyptien. Sadate n’a pas été assassiné parce qu’il a trahi les Palestiniens. Personne à l’époque ne se revendiquait « Palestinien ».
Sadate est mort parce qu’il a ouvert la voie à une reconnaissance de la souveraineté juive sur une terre que les arabes considèrent comme une terre musulmane. Il est mort au nom d’Allah ; il a été abattu pour avoir trahi l’islam.
Ici, il faut faire une incise. Tout ce que l’Occident s’imagine sur la « solution à deux Etats », le nécessaire « partage » n’a pour les musulmans aucun sens. Le conflit israélo-arabe ou israélo-palestinien est un conflit religieux. Il ne saurait être question de “partage”, car une terre islamique - ou considérée comme telle - ne se partage pas.
Pour les musulmans intégristes, Allah a fait des juifs un peuple sans terre parce que les juifs ont trahi la mission que Dieu leur avait confié. Pour les musulmans, les juifs sont un peuple déchu, tout comme les chrétiens d’ailleurs. Juifs et chrétiens sont considérés par l’islam comme des peuples de misérables qui ont trahi la mission divine qu’Allah leur avait confié. Tel est le cadre mental du musulman de base. La mission que Dieu a confié une fois aux juifs et une autre fois aux chrétiens est aujourd’hui dévolue aux musulmans. Les élus sont musulmans.
Si on ne sait pas que les musulmans se considèrent comme le peuple élu, on ne comprend pas la nausée qui a saisi l’espace musulman en 1948, date de la résurrection d’Israël. Le retour des juifs en position de souveraineté sur la terre de Canaan a représenté pour le monde musulman un coup de poing et un épouvantable dilemme. Allah pouvait-il avoir voulu le retour des juifs sur leur terre d’antan ? Ce qui signifiait : Allah pouvait-il avoir fait à nouveau des juifs, son peuple élu ? Une question insupportable. Le narcissisme musulman ne pouvait supporter qu’il y ait deux peuples élus.
Les juifs sont l’incarnation du diable
Mais si les musulmans sont le peuple élu, comment expliquer les défaites arabes de 1948, puis la défaite militaire de 1967, puis la défaite militaire de 1973 ? Les arabes ont mis 20 ans avant de trouver une explication : le retour d’Israël sur le devant de la scène n’a pas été l’œuvre d’Allah, mais l’œuvre du Sheitan. C’est le diable qui était à la manœuvre.
Tous les musulmans, chiites ou sunnites, sont d’accord sur ce point : une présence juive souveraine à Jérusalem ou ailleurs est un crachat dans l’œil d’Allah.
La conclusion s’imposait d’elle-même : le leader musulman qui exterminerait les juifs et éradiquerait l’État d’Israël, serait l’enfant chéri d’Allah. Son influence s’étendrait à l’ensemble du monde islamique.
L’Ayatollah Khomeiny avait bien compris que détruire l’Etat d’Israel était le seul moyen de devenir le commandeur des croyants. Quand on est Perse et chiite, le seul moyen de rallier à soi les arabes et tous les sunnites est d’abattre Israël. C’est ainsi que les Iraniens ont consolidé la “cause palestinienne”. « Comment tolérer la honte de voir notre terre islamique devenir une base pour Israël et le sionisme » clamera l’ayatollah Khomeiny. « Israël veut saisir notre économie entre ses serres ; Israël veut détruire notre commerce et notre agriculture. Israël veut annihiler tout ce qui résiste à sa volonté de domination. »
Les Iraniens ont fait de la Palestine l’étendard de leur conquête du Moyen Orient. Perses et chiites peut-être, mais nous sommes les seuls à défendre la cause palestinienne. Là ou vos dirigeants ont échoué à faire triompher la cause palestinienne et à restaurer les valeurs de l’islam en Palestine, là où les dirigeants arabes vous ont berné, là où ils se sont enrichis alors que vous vous êtes appauvris, nous les Perses, nous les chiites, nous allons agir. Nous allons récupérer Jérusalem, sauver la mosquée al Aqsa et vous verrez alors qui est le vrai défenseur de la foi islamique.
Tel est le discours que l’Iran a tenu pendant presque cinquante ans aux populations arabes. Un discours de conquête. Un discours de reproche adressé aux despotes arabes. L’Iran disait aux populations arabes que leurs dirigeants n’en faisaient jamais assez pour en finir avec l’État d’Israël. Et cela avait un effet profondément déstabilisateur sur les pays arabes du Moyen Orient. La « cause palestinienne » a été un instrument de conquête. C’est elle qui a permis à l’Iran d’assoir son leadership sur l’ensemble du monde musulman.
Sans cesse, l’ayatollah Khomeiny et son successeur l’ayatollah Khamenei, sans cesse les présidents élus de la République islamique d’Iran ont incité les populations arabes à protester chaque fois que les dirigeants arabes étaient tentés de pactiser avec Israel. Ce sont les Iraniens qui ont donné au concept « Free Palestine » sa dimension incandescente.
L’intellectuel américain d’origine égyptienne, Hussein Aboubaker Mansour, l’expliquera très honnêtement. Dans un texte intitulé « Le nihilisme de Free Palestine », il affirme dès les premières lignes que « Free Palestine[1] » « a toujours signifié le meurtre de masse des Juifs dans leurs villes, leurs rues, leurs magasins et jusqu’à leurs salons ..., L’idée de la libération nationale palestinienne a toujours été formulée en des termes qui cautionnent ou exigent le massacre aveugle de juifs ».
« Sans cesse, les iraniens entretiendront le désir des populations arabes d’en finir avec les juifs et de « libérer la Palestine ».
L’Axe de la Résistance
« Mais « Free Palestine » n’était pas un simple discours. L’Iran est passé aux actes et a progressivement mis en place un cercle de feu autour d’Israël. A partir de 1982, l’Iran a profité du départ des milices sunnites palestiniennes pour militariser les chiites du sud-Liban. C’est ainsi que le Hezbollah est né. Une organisation tentaculaire, armée jusqu’aux yeux et qui a été dotée de plus de cent cinquante mille missiles tous pointés sur Israël. Puis dans les années qui ont suivi, l’Iran a posé les jalons de la construction d’une bombe atomique ; l’Iran a ensuite profité de la destitution de Saddam Hussein en 2003, pour poser un pied en Irak et constituer des milices favorables à Téhéran ; en 2011, l’Iran a ensuite colonisé la Syrie en aidant Bashar al Assad à conserver le pouvoir contre les Frères Musulmans. La Syrie était le jalon indispensable entre l’Iran et le Hezbollah au Liban. Téhéran a mis un pied dans la bande de Gaza en aidant le Hamas à militariser ce territoire, à construire sept cent kilomètres de tunnels et deux mille cinq cent puits d’accès ; puis il a fomenté la révolte des Houthis au Yémen, et il a armé cette milice yéménite tout comme il a armé le Hezbollah et le Hamas. Pas à pas, en quarante ans, l’Iran a monté un réseau génocidaire autour d’Israel.
Ce réseau chiite s’est construit sur le conflit chiite-sunnite. Ce sont des minorités chiites au Liban, en Syrie, en Irak qui ont fait sécession au profit de l’Iran.
Aujourd’hui ce réseau est en grande partie démantelé. Les sunnites ont repris le pouvoir en Syrie. D’ici à ce qu’ils le reprennent aussi au Liban, en Irak et au Yémen, il y a un pas qu’on peut espérer voir franchi progressivement.
Est-ce ce qu’il faut espérer pour Israel ? L’avenir le dira.