Qui a Tué les Accords d’Abraham ?
Tous les acteurs ont enfoncé leur clou dans le cercueil de l'alliance israélo-arabe. Y compris (et bien involontairement) Israël.
Le 13 mai 2025, à Ryadh (Arabie saoudite), Donald Trump a « souhaité » et «espéré » publiquement que l'Arabie saoudite rejoigne les accords d'Abraham.
Signés en 2020 entre Israël et Bahreïn d’une part et entre Israël et les Émirats arabes unis (EAU) d’autre part, les Accords d’Abraham sont une reconnaissance politique et diplomatique entre pays qui jusque-là avaient choisi de s’ignorer. Ces accords - facilités par la première administration Trump (2017-2020) - répondaient à une urgence. Contre Téhéran et son réseau terroriste (Hezbollah au Liban, Hamas à Gaza, Houthis au Yemen…), des pays arabes trouvaient soudain le courage d’affirmer que la paix avec Israël valait mieux que la guerre, que les vieilles haines religieuses ne devaient plus structurer les relations entre pays du Moyen-Orient et que la coopération entre musulmans et juifs pouvait profiter à tous.
En 2020, le Maroc et le Soudan rejoignaient aussi les Accords d’Abraham.
Mais en 2025, curieusement, l’urgence est moins grande.
Au point que Donald Trump en est réduit à quémander. Ce serait « mon vœu le plus cher » (« my fervent hope »), a dit le président américain au prince régnant d’Arabie saoudite. Mais « vous signerez les Accords d’Abraham à votre rythme » (you’ll do it in your own time) » a-t-il ajouté gentiment.
S’il n’y a pas d’urgence, les Accords d’Abraham ont-ils encore leur utilité ?
Qui a tué les Accords d’Abraham ?
Israël. Le principal « fautif » du peu d’empressement des États arabes à rejoindre les Accords d’Abraham est Israël. Mais ce ne sont pas les souffrances des Gazaouis qui freinent les dirigeants arabes. La réalité est qu’Israël a “fait le boulot” sans leur aide. L’État hébreu a détruit le Hezbollah au Liban sans le secours de personne ; il finira tôt ou tard par éradiquer le Hamas de Gaza ; Israël seul encore a sorti la Syrie du giron iranien pour restituer ce pays au camp sunnite ; c’est Israël qui a pulvérisé les défenses anti-aériennes de l’Iran…
Bref, Israël a démontré au monde arabe que l’Iran était un tigre en papier et que son action militaire par milices interposées était mal fagotée et peu efficace. Certes, les Houthis du Yémen représentent encore une épine dans le pied d’Israël, mais… l’Etat hébreu peut bien continuer à se débrouiller seul pensent sans doute les États arabes. Donald Trump lui-même a négocié une paix séparée avec les Houthis pour sécuriser le trafic maritime américain en mer Rouge , sans y associer Israël.
Sans la menace iranienne, les Accords d’Abraham valent-ils encore quelque chose?
Le Hamas. Le mouvement islamiste palestinien est le second assassin des Accords d’Abraham. Le 7 octobre 2023, la brutale attaque lancée contre Israël par le Hamas a généré une mobilisation mondiale en faveur de la « cause palestinienne ».
À partir d’octobre 2023, le monde musulman en général et le monde arabe en particulier sont entrés en ébullition au nom de « Free Palestine ». Ce slogan, Free Palestine – comme l’a expliqué le chercheur égypto-américain Hussayn Aboubakr Mansour – ne signifie qu’une chose pour un musulman : « le meurtre de masse des Juifs dans leurs villes, leurs rues, leurs magasins et jusque dans leurs salons ».
Cette soudaine ruée islamique dans le djihad antijuif a bien évidemment fait reculer les dirigeants saoudiens. Quel intérêt y-a-t-il à se rapprocher d’Israël quand des dizaines de millions d’intégristes – y compris en Arabie saoudite – appellent tous les jours à assassiner les juifs ?
Joe Biden. Joe Biden qui a succédé à Donald Trump à la Maison Blanche, ne s’est pas borné à snober les Accords d’Abraham. Il en a supprimé la dimension symbolique : ces accords de réconciliation entre religions ennemies sont devenus les « accords de normalisation ». Pire, pendant sa campagne électorale, Joe Biden a menacé de transformer l’Arabie saoudite en « État paria ». Il reprochait au prince régnant d’un État indispensable aux Accords d’Abraham d’avoir fait assassiner Jamal Khashoggi, un journaliste hostile à la monarchie et proche des Frères musulmans.
De ces zig-zag entre “Accords d’Abraham” et “accords de normalisation”, Mohamed Ben Salmane, prince régnant d’Arabie saoudite, en a conclu que l’Amérique n’était plus fiable. Il a alors opéré une sortie hors du giron américain. Il s’est rapproché de la Chine, mais il s’est aussi rapproché de l’Iran pour tenter de jeter les bases d’une coexistence pacifique avec l’ennemi chiite d’hier.
Donald Trump. Sans en avoir conscience (?), Donald Trump a planté trois autres clous dans le cercueil des Accords d’Abraham : il a entrepris de régler tout seul le problème du nucléaire iranien ; il a opéré une captation des flux financiers du Moyen-Orient au profit des seuls États-Unis et a offert une reconnaissance diplomatique aux djihadistes syriens contre les intérêts de son allié israélien.
Nucléaire iranien. Depuis son élection, Donald Trump a affirmé qu’il ne permettrait pas à l’Iran d’obtenir l’arme nucléaire. Cette position a été martelée lors de conférences de presse, d’interviews et de déplacements à l’étranger : « Ils ne peuvent pas avoir l’arme nucléaire. C’est très simple. »
Cette fermeté n’était pas une menace de guerre, mais une invitation à négocier. Ce que les Iraniens ont accepté. Nul ne sait ce qui sortira de ces négociations qui durent encore. Mais si Donald Trump se charge à lui seul d’éliminer le risque nucléaire iranien et si Israël a quasi éliminé le réseau de « proxys » de l’Iran, quel pays arabe peut avoir besoin de reconnaître Israël en rejoignant les Accords d’Abraham ? Quel besoin de consolider une coalition arabo-israélienne contre l’Iran… si la menace iranienne est en passe d’être annihilée ?
Business. Le triomphal voyage commercial de Donald Trump dans les États arabes du Golfe persique entre le 13 et le 16 mai 2025 (1000 milliards de dollars de contrats et de promesses d’investissement aux États-Unis) a représenté un autre clou dans le cercueil des Accords d’Abraham.
Donald Trump a repris à son compte le concept chinois des « routes de la soie ». Sauf qu’il ne s’agit pas de financer des ponts ou des routes en Afrique pour générer de l’influence, mais d’accaparer autant de flux financiers extérieurs qu’il est possible pour construire des ponts, des routes et des usines … aux États-Unis.
« Les États-Unis ont entrepris d’intégrer les marchés du Golfe et leurs portefeuilles d'investissement à l'écosphère technologique américaine plutôt qu'à celle de la Chine », écrit Walter Russel Meade, un politiste du Hudson Institute.
Dans le monde MAGA, la seule prospérité qui compte est celle du peuple américain. Et pour les dirigeants arabes, mieux vaut satisfaire Washington que nouer des liens économiques avec Israël.
La Syrie. « Lorsque le président Trump a serré la main du nouveau dirigeant syrien et promis de lever les sanctions contre la Syrie, il a démontré de manière éclatante que sa diplomatie aboutissait à mettre Israël à l'écart », écrit le New York Times. Le dirigeant syrien qui, pour Israël, est un « djihadiste » (les États-Unis avaient également mis sa tête à prix, 10 millions de dollars) s’est vu offrir par Donald Trump la possibilité de reconstruire son pays.
M. Trump a ignoré les opinions du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, dont le gouvernement qualifie M. al-Shara de « djihadiste », écrit le New York Times.
Quelle relation entre Israël et l’administration Trump ?
MAGA (Make America Great Again) pourrait se révéler aussi risqué pour Israël que les utopies droits-de-l’hommiste des administrations Obama/Biden. Donald Trump (America First) délaisse ostensiblement un allié israélien embourbé dans une guerre interminable contre le Hamas à Gaza. Donald Trump n’a pas explicitement appelé à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, mais dire que « beaucoup de gens sont en train de mourir de faim » à Gaza est un moyen indirect de peser sur le conflit.
Dans le nouveau monde MAGA, la guerre est contreproductive. Elle est mauvaise pour le business et elle réveille les pulsions « Free Palestine » au sein de la population arabe. En d’autres termes, l’image « belliqueuse » d’Israël pénalise la bonne image que Trump souhaite donner des États-Unis dans le monde.
Malheureusement, si les Accords d’Abraham ne sont plus d’aucune utilité, le statut d’Israël comme “intrus” au Moyen Orient n’est pas près de s’effacer.
Vous avez raison. Il faut être positif. Et si les accords d'Abraham ne survivent pas, d'autres dispositifs se mettront en place. Am Isael Hai..
Merci M. Yves Mamou pour ce récapitulatif des évènements des "Accords d'Abraham".
Je pense malgré tout qu'ils survivront à cette présidence de Trump, parce qu'Israël s'est redressé après le 7/10 et poursuivra, grâce à Binyamin Netanyahou, à la victoire finale qui permettra la reprise de ces Accords.