Vers un schisme Europe – États-Unis ?
L'Europe veut s'offrir une défense autonome et prend ses distances avec Washington
Le SignalGate – ainsi appelle-t-on l'affaire déclenchée par ce journaliste de « The Atlantic » introduit par inadvertance dans un groupe de messagerie réservé aux plus hauts représentants de l'administration américaine – a fait jaser. Notamment en Europe. Les ricaneurs ont moqué l'« amateurisme » de l'administration Trump (« une bourde » écrit France24). Et nombre d'autres se sont ébahis des propos peu amènes du ministre de la Défense, Pete Hegseth et du Vice-Président JD Vance, envers les Européens. Libération a évoqué la « haine de l'Europe » ; La Libre Belgique parle de « l'aversion des hauts dirigeants américains à l'égard de l'Europe » ; la RadioTélévision Suisse (RTS), s’est étonné d’un climat de « guerre idéologique » ; tt The Independant a affirmé qu’Hegseth était « ivre » au moment où il textait sur Signal…
Cette indignation des Européens est bien entendu surjouée. Comment refuser une revanche offerte à si bon compte ? Personne en Europe n'a oublié qu’Elon Musk a violemment accusé Keir Starmer, Premier ministre britannique, d'avoir étouffé l'affaire des réseaux de violeurs pakistanais en Grande-Bretagne. Personne en Allemagne n'a digéré que ce même Elon Musk ait dédiabolisé l’AfD, le parti nationaliste anti-européen et anti-immigration qui monte en Allemagne. Et la suffocation provoquée par le discours qu’a tenu JD Vance à Munich, lors de la conférence sur la sécurité, n'en finit pas de faire des vagues en Europe. Le VP des États-Unis a en effet expliqué aux Européens que l'immigration incontrôlée représentait un danger militaire plus important que la Russie ou la Chine.
On l’aura compris, le fossé s’est creusé de part et d'autre de l'Atlantique.
DE QUOI EST FAITE L'ANIMOSITÉ TRANSATLANTIQUE ?
Les Européens ne pardonnent pas à Donald Trump son « nationalisme ».
L'Union européenne a été conçue sur la base d'un rejet radical du nationalisme. Les promoteurs de l'idée européenne, Jean Monnet ou Robert Schuman, pensaient que le nazisme avait été le résultat d'un nationalisme exacerbé. Pour éviter le retour des guerres « nationalistes » en Europe, mieux valait réduire la souveraineté des États et diluer les identités nationales des populations.
Jean-Marie Guéhénno, Directeur du programme Kent sur la résolution des conflits à l’Université Columbia, résume parfaitement la situation quand il explique que « le différend entre les États-Unis et l'Europe (…) révèle une opposition fondamentale sur les valeurs qui nous rassemblent. D'un côté, une vision du monde qui célèbre le nationalisme, la force et l'autorité du chef, ignore les valeurs de justice, de solidarité et d'humanité, bouscule les institutions, et rejoint les mouvements fascistes des années 1930. Et de l'autre, une vision du monde qui rejette le nationalisme destructeur qui a conduit à deux guerres mondiales et valorise le droit et les institutions pour gérer les conflits ».
Comme en écho, Timothy Garton Ash, Professeur d'études européennes à l'Université d'Oxford, affirme sur la revue en ligne Le Grand Continent, que la relation fusionnelle Europe-États-Unis est terminée. « La période post-Mur, de la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 au début de la guerre totale en Ukraine le 24 février 2022, est clairement terminée. Une nouvelle période a commencé, dont le caractère dépendra de ce que nous, Européens, ferons maintenant ».
Les Européens définissent le nationalisme comme Adolf Hitler le définissait.
Les Européens ont-ils raison de se défier du « nationalisme » en général et du « nationalisme » américain en particulier ? Yoram Hazony, philosophe et penseur politique israélien, affirme dans son livre "The Virtue of Nationalism" (2018) que les modèles de gouvernance universalistes (Union européenne principalement) ont été construits sur la base erronée de l'idée de nation. « Après 1945, beaucoup d'intellectuels libéraux et marxistes, Orwell en tête, ont assimilé le mot (nationalisme) à l'usage qu'en faisait Hitler » explique Yoram Hazony.. La confusion était possible dans la mesure où Adolf Hitler a défini son « impérialisme raciste » comme un « nationalisme ». « Il (Hitler) a ainsi détourné un terme parfaitement respectable qu'on utilisait depuis longtemps et pour lequel il n'y a pas de substitut dans les langues européennes » poursuit Hazony. L'idée que les nations devaient être indépendantes et capables de s'autodéterminer a donc été progressivement assimilée à une forme de racisme.
Considérer Donald Trump comme un nazi parce qu'il veut rendre l'Amérique Great Again ne peut relever que du malentendu.
Marco Rubio, Secrétaire d'État de Donald Trump, n'a pas dit autre chose aux membres de la la commission des affaires étrangères du Sénat : à la chute du Mur de Berlin, a-t-il dit, nous avons perdu la tête. Nous avons cru que « la fin de l'Histoire était arrivée, que toutes les nations du monde allaient désormais devenir membres de la communauté démocratique dirigée par l'Occident ; que toutes les politiques étrangères au service de l'intérêt national pouvaient désormais être remplacées par une politique au service de l'ordre mondial libéral ; et l'humanité tout entière était vouée à abandonner sa souveraineté et son identité nationales pour devenir une seule famille humaine et citoyenne du monde. Ce n'était pas un simple fantasme. Nous savons aujourd'hui que c'était une dangereuse illusion. »
Si le rêve de l'ordre mondial s'est effondré outre-Atlantique, les braises de l'empire universaliste européen flambent encore.
D'où les tensions entre l'Europe et les États-Unis.
L'Union européenne s'effraye du retour des nationalismes en Europe.
Les dirigeants progressistes européens (Emmanuel Macron, Keir Starmer, Ursula von der Leyen…) ne sont pas aveugles. Ils notent avec effroi le retour des «nationalismes » en Europe. Italie, Autriche, Pologne, Hongrie… s'opposent aux politiques immigrationnistes que l'Union Européenne mène dans le but précis de diluer les identités nationales. La montée du Rassemblement National en France, la percée croissante d'Alternative für Deutschland en Allemagne, le Brexit en Grande-Bretagne sont analysés par les progressistes comme un danger politique majeur. Narendra Modi en Inde, Shinzo Abe au Japon, Benjamin Netanyahu en Israël et surtout Donald Trump aux États-Unis sont autant d’exemples de “nationalisme” qui menacent le modèle de gouvernance universaliste des Européens.
Et puis la guerre en Ukraine est arrivée...
En envahissant l'Ukraine en février 2022, Vladimir Poutine a rendu un incommensurable service aux dirigeants de l'Union Européenne. Il leur a offert le liant permettant de coller ensemble ce patchwork de 27 pays membres de l'Union Européenne. Le dirigeant russe a fait cadeau à Bruxelles de l'approfondissement qui manquait à cette alliance trop large : un Espagnol et un Lituanien ont désormais une peur en commun, celle de Vladimir Poutine.
Emmanuel Macron est le dirigeant européen qui a poussé le plus loin le management de la peur. Le 5 mars, dans une allocution de 13 minutes volontairement dramatisée, le président de la République française a pointé le danger militaire en provenance de l'Oural.
« La menace russe est là et touche les pays d'Europe »
« Qui peut donc croire que la Russie d'aujourd'hui s'arrêtera à l'Ukraine ? »
« La Russie est devenue une menace pour la France et l'Europe »
« Rester spectateur serait une folie … le temps de l'action est venu »
De ce battage, un projet de défense européenne est né. S'estimant abandonnés par les États-Unis et menacés par la Russie, les dirigeants européens tentent de prendre leur destin en main. Ce qui les oblige à régler de multiples obstacles financiers et institutionnels. Qui paie ? Qui fabrique ? Faut-il acheter européen seulement ? La France peut-elle partager son arme nucléaire ? … Autant de casse-têtes juridiques, industriels et financiers qui ne sont pas près d'être résolus.
Mais là n'est peut-être pas l'important. Ce projet de défense commune fait parler, il agite les médias, occupe les populations, et surtout il matérialise le fossé avec les États-Unis.
S’il éteignait en plus le danger « nationaliste » en Europe, ça serait bingo !!
Un espagnol et un lituanien ont certainement quelque chose en commun, à savoir la peur de Vladimir Poutine. Mais dans quel cadre ? l'UE ou l'OTAN ? Car les lignes de force sont moins claires qu'il n'y paraît. Si l'on aborde cette question sous l'angle militaire, il peut sembler légitime pour les pays membres d'augmenter respectivement leur budget défense en vue de se préparer à une éventuelle agression extérieure, sachant que le péril russe est purement fantasmatique car on perçoit mal comment un pays de 147 millions d'âmes pourrait venir à bout d'un continent de 480 millions d'habitants. C'est d'ailleurs le souhait de Donald Trump et il ne s'en ait jamais caché. Mais ces forces ne sont destinées à intervenir actuellement que dans le cadre du commandement intégré de l'OTAN sous contôle Etatsunien. Or, l'OTAN n'est pas l'UE. Et l'on peut parfaitement concevoir qu'en tant que "citoyen" européen (le mot doit être employé avec les réserves d'usage car, juridiquement, il n'existe pas de citoyenneté européenne), on se sente culturellement plus proche des USA dans leur nouvelle configuration politique et celle des valeurs qu'ils véhiculent désormais (à savoir qu'on ne peut faire l'impasse sur la dominante biologique de l'humain: un homme, une femme et des enfants) plutôt que de l'UE et celle des valeurs défendues par elle fondées sur la culture de l'effacement. Ces valeurs rejoignent d'ailleurs celles défendues par Vladimir Poutine basées sur le principe anthropologique de la famille patrilinéaire. Dès lors, où s'arrête la peur et où commence la raison ? Pouvez-vous me le dire ?