Iran-Israël : Dans les Eaux Glacées du Calcul Égoïste Arabe
Le Moyen-Orient arabe joue la solidarité avec l’Iran… contre Israël.
L’Arabie saoudite a exprimé « sa ferme condamnation et dénonciation des flagrantes agressions israéliennes contre la République islamique d'Iran, lesquelles portent atteinte à sa souveraineté et à sa sécurité et constituent une violation flagrante des lois et normes internationales ». Comme le remarque Arabnews, l’Arabie saoudite a été le premier pays arabe à publier un communiqué au ton délibérément musclé, pour exprimer sa solidarité avec « un pays frère ».
Les Émirats arabes unis (EAU) ont eux aussi « fermement condamné » l’agression israélienne.
Le Qatar, par la voix du Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Cheikh@MBA_AlThani, a dénoncé « le comportement irresponsable d'Israël (qui) détruit les perspectives de paix et met en péril la sécurité régionale et mondiale ».
La Turquie a exhorté Israël à cesser ses « actions agressives » et le président Recep Tayyip Erdogan a fustigé le "banditisme" israélien.
Le Koweït et l'Irak ont condamné l’« agression » contre l'Iran qui « menace la sécurité et la paix internationales ».
Les Houthis du Yémen ont exprimé leur soutien au "droit légitime" de l'Iran à se défendre.
Faut-il le préciser ? Ces réactions (à part celles des Houthis) sont parfaitement hypocrites.
En réalité, les pays arabes – et notamment les monarchies pétrolières du Golfe Persique – jubilent ! L’affaiblissement militaire de l’Iran les soulage et même les met en joie.
Mais en privé.
En détruisant le dispositif nucléaire de l’Iran, Israël mène certes une lutte pour sa survie. Mais ce faisant, il affaiblit le principal ennemi du monde arabe.
Téhéran, puissance perse (non-arabe) et chiite (non-sunnite), menait en effet une double guerre. Une guerre contre Israël, laquelle se doublait d’une entreprise de domination sur le monde arabe.
Depuis plus de quarante ans, l’Iran se présentait comme le chevalier blanc du «peuple palestinien ». Ce qui n’était pas d’une grande originalité.
D’autres avant avaient exploité le même filon :
– Les régimes arabes ont expliqué à leurs populations que leur pauvreté, leur analphabétisme, leur manque d’avenir étaient de la faute des juifs.
– L’Union soviétique a fait de la « Palestine » une cause pour unir le monde arabe contre Israël et les États-Unis.
– Les Frères musulmans ont eux aussi tenté de fédérer le monde arabe autour du drapeau de la Palestine.
— Et l’Iran chiite a également fait de la destruction d’Israël un outil de domination du monde arabe sunnite.
Comment ? Très simple : depuis 1982, l’Iran se présente comme le chevalier blanc de la Palestine, tout en qualifiant les pays arabes de « vendus » au sionisme et de « traîtres à la cause palestinienne ». Souvent, l’Iran a mis en avant le Hezbollah, le mouvement chiite créé de toutes pièces au Liban, « comme le seul acteur arabe véritablement engagé sur le front de la libération d’Al-Qods (Jérusalem) ».
Lutter contre Israël avait surtout pour but de discréditer les régimes arabes aux yeux de leur propre population. Les pays arabes qui avaient fait la paix avec Israël (Égypte, Jordanie) étaient accusés de 'trahison'. Et les passifs (tous les autres) étaient qualifiés de mauvais musulmans.
Incapables de s’unir contre Israël, incapables de lutter contre le régime iranien, les régimes arabes apparaissaient dans tous les cas « faibles » et « pleutres ».
Le 7 octobre a tout changé.
L’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 a tout changé. Mais en pire. Les meurtres de juifs désarmés, les décapitations d’enfants juifs, les viols de femmes et de jeunes filles juives sans défense ont soulevé l’enthousiasme des foules arabes partout dans le monde. Le slogan « Free Palestine » a déferlé sur la moitié du monde. Dans les rues de Bagdad, d'Amman, du Caire, de Beyrouth, de Rabat, mais aussi de Londres, de Madrid ou de Washington, des centaines de milliers de personnes ont manifesté en faveur du Hamas.
En Tunisie, le politologue Mohamed-Dhia Hammami a affirmé que la manifestation pro-palestinienne du 18 octobre à Tunis était « l'une des plus importantes que le pays ait connues depuis son indépendance ».
Cette soudaine ferveur antijuive a rendu plus circonspects encore les dirigeants arabes. Notamment les Saoudiens qui, à l’été 2023, et encore à l’automne 2023, évoquaient publiquement un éventuel rapprochement avec Israël. Après le 7 octobre, tous ont brutalement cessé d’y faire référence.
Les documents découverts par Israël dans les décombres de Gaza ont montré que le raid du Hamas, le 7 octobre, avait précisément pour but de faire dérailler un éventuel rapprochement israélo-saoudien.
Israël n’a pas eu d’autre choix que d’agir seul.
Le rapprochement israélo-arabe ayant déraillé, Israël n’a pas eu d’autre choix que de guerroyer seul. Et, depuis presque deux ans, Israël affronte seul le Hamas et l’Iran. Non sans succès. Entre 2023 et 2024, Israël a démantelé les principales milices chiites iraniennes. L’État hébreu a détruit le Hezbollah au Liban sans le secours de personne ; il finira tôt ou tard par éradiquer le Hamas de Gaza ; Israël seul encore a sorti la Syrie du giron iranien pour restituer ce pays au camp sunnite ; c’est Israël qui a pulvérisé les défenses anti-aériennes de l’Iran…
Depuis deux jours, l’État d’Israël a entrepris de démanteler le dispositif nucléaire iranien. Par vagues successives, l’aviation israélienne bombarde d’importants sites nucléaires et militaires iraniens tout en assassinant les chefs militaires et scientifiques du pays.
Ces opérations militaires libèrent Israël d’une menace nucléaire iranienne effroyablement dangereuse et réassurent sa présence dans la région.
Mais il ne fait pas de doute non plus que l’armée israélienne rend un incommensurable service aux monarchies du Golfe. Comme l’écrit le chercheur égypto-américain Hussaynd Aboubaker Mansour[1], « cela fait des décennies que l'Iran jette une ombre menaçante » sur les monarchies du Golfe. « Cette menace persistante, ils (les États du Golfe) n’étaient pas en mesure de la dissuader ni de la contenir efficacement. » Les actions rapides et décisives d'Israël ont libéré les États du Golfe de cette contrainte menaçante. D'un seul coup, Israël a démantelé un cadre stratégique qui limitait sévèrement les possibilités géopolitiques des États arabes du Golfe, redéfinissant fondamentalement leur paysage stratégique du jour au lendemain. »
Ces monarchies pétrolières qui se trouvent ainsi confortées dans leur puissance et leur richesse, croyez-vous qu’elles éprouvent envers Israël une quelconque reconnaissance ? Au point de se rapprocher de ce pays ?
Nullement
Comme déjà évoqué dans un précédent article (« Qui a tué les Accords d’Abraham »), l’affaiblissement iranien ne favorise pas un rapprochement entre Israël et les monarchies du Golfe. Tout d’abord, parce que les populations arabes demeurent attachées à la « cause palestinienne » et ne comprendraient pas que leur gouvernement tende la main à un “génocideur”.
Mais aussi parce qu’elles n’ont pas intérêt à conforter Israël en tant que puissance économique et militaire dominante au Moyen-Orient.
« Je ne serais pas surpris si la première chose qu'ils (les États du Golfe) faisaient demain était d'appeler haut et fort à la création d'un État palestinien, non pas qu'ils en souhaitent réellement un, mais parce qu'ils souhaitent signaler qu'Israël doit demeurer un paria », écrit Aboubakr Mansour.
Et c’est sans doute ce qui va se passer.
N’oublions pas que ces monarchies ont été formées à la rude diplomatie britannique : pas d’amis, seulement des intérêts.
Un Iran aux griffes rognées et un Israël arrimé à ce bon vieux boulet palestinien leur conviennent tout à fait. Cette nouvelle donne donnera aux États du Golfe le moyen d’émerger comme la puissance dominante du Moyen-Orient.
Sans avoir tiré un seul coup de fusil.
[1] After Iran, The New Middle East and the Limits of Euphoric Thinking, Hussein Aboubakr Mansour, 13 Juin 2025
Excellent article ! Une fois de plus, nous devons admettre que le monde musulman (qu'il soit Shiite ou Sunnite) nous signifie qu'il ne doit rien à l'occident et surtout pas à Israël ! Ce monde a décidé qu'il était supérieur en tout, par sa religion, sur les puissances non musulmanes. Il y a là une fermeture sur soi qui interroge, ou devrait interroger les puissances occidentales. Or, c'est précisément celles-ci qui ont permis aux pays du Golfe d'exploiter le pétrole qui se trouve sur leur territoire. Nous leur avons donc donné les clés de notre dépendance. Nous n'avons pas fini d'en payer les conséquences....
Très intéressant. Merci pour cet éclairage. Autre perspective dans la continuité de votre synthèse si je peux oser : Israel et un nouvel Iran "démolatisé" s'unissent d'ici 10 ans pour renforcer leurs liens économiques.